
Se pourrait-il que le plus important dans la pratique du yoga ne se voie pas ?
Dans notre société d’images, la notoriété du Yoga passe bien évidement par son aspect extérieur. Dans la surenchère visuelle et médiatique que nous connaissons, de plus en plus de poses illustrent le Yoga sous un aspect contorsionniste et acrobatique qui pourrait faire croire que le yoga tient plus d’une performance du Cirque du Soleil que d’un subtil travail interne.
Se pourrait-il que le yoga opère à un niveau plus profond que les différentes poses que nous pouvons prendre ?
Tous les pratiquants réguliers savent bien que les bénéfices du yoga ont peu de chose à voir avec la difficulté d’une asana et que l’apaisement mental et physique ne passe pas nécessairement par des contorsions compliquées.
C’est en observant sur moi-même cette subtile alchimie interne : sensations physiques, apaisement du mental et réactions émotionnelles, que je me suis intéressée de plus près au lien entre le yoga et les méridiens d’acupuncture.
Je pratique le yoga depuis plus de 15 ans et alors que je ne pensais pas encore devenir professeur, j’ai débuté une formation en Shiatsu avec le maitre japonais Yuchi Kawada.
Le Shiatsu est une méthode d’acupression basée sur la théorie des méridiens d‘acupuncture, héritage de la Médecine Traditionnelle Chinoise.
La tradition de la médecine orientale envisage la bonne santé comme un tout : l’équilibre du mental, des émotions, et du corps. Ainsi, quand l’énergie du corps circule librement, nos organes sont sains et nos pensées sont claires et fluides. En Chine, cette énergie s’appelle le Qi (prononcer « chi »), en Inde on parle de prana.
Les Chinois ont développé une connaissance très fine du réseau énergétique et ils ont élaboré l’acupuncture.
En Inde, l’Ayurveda a également mis en évidence tout un système énergétique : en Yoga, par exemple, nous connaissons bien 3 des principaux « canaux » d’énergie, les nadis : Ida, Pingala et Shushumna ainsi que les 7 chakras qui correspondent à des zones également très importantes en énergétique chinoise.
La pratique du yoga met donc en œuvre le corps et la respiration et requiert notre attention à tout ce que nous pouvons ressentir intérieurement sur le plan physique, énergétique et émotionnel.
Ayant la connaissance des différents méridiens d’énergie dans le corps, je me suis aperçue que les asanas de Yoga stimulent les méridiens d’énergie correspondant aux principaux organes et depuis très longtemps, l’Ayurveda et la Médecine Traditionnelle Chinoise ont mis en évidence la corrélation entre les émotions et certains organes du corps. En effet, nous avons tous expérimenté l’impact que peuvent avoir nos émotions sur notre corps: l’appétit ou la digestion coupée par le stress, le cœur qui bat la chamade lors d’une grande joie ou semble se figer dans un moment de frayeur, les joues qui rougissent de timidité.
Selon la tradition chinoise, la colère et la gentillesse sont en relation avec le foie, la joie et la frayeur sont en lien avec le cœur, les reins sont affectés par la peur mais sont la source du courage et de la sagesse; l’estomac nourri la créativité mais s’épuise quand nous ressassons nos soucis …
De cette corrélation entre posture, énergie, émotions et organes est née ma curiosité et mon intérêt à pratiquer telle ou telle pose de yoga afin de soutenir, par exemple, l’énergie des Reins lorsque je ressens de la fatigue; ou bien de disperser l’énergie stagnante sur le trajet du méridien du Poumon pour dissiper une tension émotionnelle. J’ai tout d’abord pratiqué en autodidacte, intégrant à mes séquences de Vinyasa mes connaissances héritées de ma formation en Shiatsu. C’est bien plus tard que j’ai découvert les ouvrages de Paul Grilley et que je me suis ensuite formée, avec Sarah Powers, au Yin Yoga qui intègre ces mêmes principes.
Pourrait-on développer une pratique de Yoga selon le principe de saisonnalité ?
En même temps que je mêlais les principes de la Médecine Traditionnelle Chinoise aux asanas de Yoga, il me semblait évidant d’incorporer une dimension essentielle : la saisonnalité.
Comment avoir la même pratique de yoga tout au long de l’année alors que la nature et nous même sommes soumis aux changements de saisons ?
Le corps n’a pas les mêmes besoins en été qu’en hiver. Notre état d’esprit n’est pas le même au printemps ou à l’automne.
Cela me semblait aussi cohérent que de composer mes repas en fonction des fruits et légumes de saison, alors pourquoi ne pas orienter ma pratique du yoga selon ce même principe ?
Chaque saison à son énergie propre, à laquelle correspond un couple d’organes. Ces organes sont eux-mêmes en lien avec une émotion qui se reflète dans les aspects d’une saison :
- Au Printemps culmine l’énergie de l’élément Bois qui est en relation avec le Foie et la Vésicule Biliaire.
- L’été est la saison de l’élément Feu, en relation avec le Cœur et l’intestin Grêle.
- L’intersaison est représentée par l’élément Terre qui est en relation avec la Rate et l’Estomac.
- L’automne est l’élément Métal, il est lié aux Poumon et au Gros Intestin.
- L’hiver est l’élément Eau, qui correspond aux Reins et à la Vessie.
(Les organes ont ici une majuscule car il ne s’agit pas des organes physiologiques mais de leurs méridiens énergétiques).
Dans ma pratique personnelle, j’ai observé que j’avais peu d’attirance pour certaines asanas à certains moments de l’année.
En effet, l’hiver, lorsque le temps est froid, les jours courts, le soleil bas, j’avais rarement envie de pratiquer d’intenses étirements en arrière comme Chakrasana (la roue). Cette asana étire toute la face antérieure du corps, il requière de l’énergie et expose la poitrine.
En revanche, je pratiquais plus naturellement des flexions avant, comme Paschimotanasana (la pince) où la partie postérieure du dos et des jambes est étirée en induisant un état d’esprit plus introspective, rassurant et reposant.
- Chakrasana, en plus d’être une flexion arrière intense, ouvre largement la poitrine qui est le siège du cœur, son élément est le Feu, sa saison l’été, c’est l’apogée de l’énergie Yang (dynamique).
- A l’inverse, Paschimotanasana étire le très long méridien de la Vessie qui court tout le long de la face postérieure du corps, ce méridien est en relation avec l’élément Eau, il représente l’hiver, c’est l’apogée de l’énergie Yin (inerte).
Je n’exclus jamais un certain type de pose sous prétexte qu’il n’est « pas de saison ». En hiver, je pratique bien sûr des étirements en arrière comme Bhujangasana, (le Cobra), Setu Bandha Sarvangasana (le Pont), Matsyasana (le Poisson), Salabhasana (la Sauterelle), en me préparant petit à petit à des étirements plus intenses à mesure que l’été approche. Cependant, bien que Charkrasana incarne les aspects de l’été, je ne pratiquerais pas cette asana par très fortes chaleurs, cela ne ferait qu’ajouter du Feu (énergie du Cœur) au Feu (élément de la saison d’été) et mettrait le corps en surchauffe ! Je choisirais certainement d’inclure alors Paschimotanasana à ma pratique, cela aura pour effet de calmer le Cœur et nourrir les Reins (qui couplés à la Vessie représentent tous deux la voie des Eaux et incarnent la saison froide).
J’aime parfois pratiquer des poses plus complexes ou acrobatiques parce qu’elles représentent un challenge ou un amusement et je dois dire qu’en tant que professionnelle, j’utilise parfois l’apparence spectaculaire de ces poses pour mettre en avant mes activités, mais l’essentielle de ma pratique est constituée de poses très simples dans lesquelles je peux développer toute mon attention et mon intention.
Le yoga et la Médecine Traditionnelle Chinoise sont deux merveilleuses façons d’approcher le corps et l’âme humaine. En pratiquant des poses simples, qui n’en sont pas moins très puissantes, nous affinons notre sensibilité à dégager cette invisible facette du Yoga et cependant la plus essentielle : l’écoute de notre être profond.
De l’observation attentive de notre fonctionnement physique, de notre état mental ou psychique, nous pouvons élaborer une meilleure compréhension d’un système interne subtil menant vers plus d’harmonie avec nous-même et avec notre environnement.